vendredi 27 avril 2007

Chronique d’errance #3: La peur et les néants / la confiance et l’espoir

Écrite dans mes lieux de vie casablancais. Enregistrée sur mon balcon du Maârif le 21 avril 2007

Version audio

Il y a de ces moments où le futur, même le présent, font peur. Parce qu’ils sont vides. Vides de tout fondement, de tout repère, autre que la personne que l’on est.

Il y a soi, son bagage, et le néant du moment, et le néant du futur, et le néant du passé aussi, parce que tout ce qu’on a pu accomplir avant aujourd’hui ne compte plus quand on a tout laissé tomber sur un débattement de coeur.

Il y a soi, seul, devant une montagne d’inconnu. Et quand il y a la fatigue, la montagne est encore plus haute, parce qu’il y a les trous de courage, les abysses de confiance.

Et sur cet îlot de soi-même, à ce moment précis de notre existence en naufrage ponctuel, on donnerait la seule chose qui nous reste, notre tout et notre rien, notre liberté sans limite - ou presque - pour ne plus continuer tout seul.

On voulait tellement y arriver tout seul. On y est arrivé parfois, souvent même. On pourrait probablement, certainement, continuer encore comme ça: bûcher sans relâche pour défricher notre chemin à soi et finir à chaque fois sur les rotules, exténué, mais porteur au bout de nos bras meurtris d’un aboutissement, d’un accomplissement qui ne pourrait pas être plus nous-mêmes.

Oui, on y croit qu’on pourrait continuer comme ça pendant des années. On y croit dans les jours où la volonté, droguée à la confiance et l’espoir, est plus forte que la peur des néants imminents.

Mais la drogue, il paraît que ce n’est pas bien. Ça altère les sens: la volonté d’avancer devient, sans réflexion aucune, plus forte que les attaches, que les sentiments d’être bien, d’être bien à notre place; et on est sans compromis, malgré les autres, pauvres les autres de nous aimer, d’endurer nos «high» et nos «down».

Et quand on arrive au bout de l’effet, on est déjà plus loin, trop loin, et seul. Trop seul. Avec les souvenirs et les cicatrices de nos excès de soi-itude.

Seul avec les néants du présent, du passé et du futur. Et c’est tout ce qu’on mérite, parce qu’on l’avait cherché, même si finalement ce n’est peut-être pas exactement ce qu’on voulait…

***

Mais l’espoir et la confiance finissent par revenir alimenter la machine à excès de soi. Et ils sont (malheureusement?) plus fort que la raison: et on se dit à nouveau que les néants, ce sont des réalités qui attendent simplement qu’on les construisent.

mercredi 25 avril 2007

No comment...

Certaines personnes m'ont dit qu'ils n'arrivaient pas à publier leur commentaire sur mon blogue. J'ai essayé de régler le problème, mais faites-le moi savoir si vous ne réussissez toujours pas. Vous pouvez toujours m'envoyer vos commentaires par courriel, si ça ne fonctionne pas.

Deuxièmement, j'aimerais m'excuser auprès de vous, lecteurs, pour les fautes de français qui peuvent se glisser dans mes textes. Je tâcherai de redoubler d'ardeur pour les éviter et je vous prie de me le faire savoir rapidement lorsque vous en trouvez. Vous pouvez publier un commentaire à ce sujet (que j'effacerai par la suite) pour me signaler la faute ou m'envoyer un courriel.

Merci!
J'attends vos commentaires,

Fred

mardi 24 avril 2007

Boris Eltsine: l’homme mou dans un pays dur


Non, il n’a pas été empoisonné. Si ce n’est par des années d’alcool. Jusqu’à preuve du contraire, c’est un arrêt cardiaque qui a emporté lundi l’ancien président russe Boris Eltsine à l’âge de 76 ans.

La mort du premier président russe n’a rien de très surprenant. Son état de santé n’avait cessé de se dégrader au cours des dernières années, si l’on en croit les quelques rares bribes d’informations sur sa vie post-présidentielle qui se rendaient parfois aux oreilles de la presse.

Parce que depuis sa démission le 31 décembre 1999, Boris Eltsine n’existait plus en Russie, autrement que dans les livres d’Histoire. Ses seules apparitions publiques étaient à titre de spectateur de matchs de tennis. Il a maintenu au cours des sept dernières années une réserve complète sur les affaires russes et internationales, hormis une diatribe contre les États-Unis à la veille de l’invasion de l’Iraq.

Pas question de jouer au sage en prodiguant des conseils à son dauphin Vladimir Poutine, comme s’amusent à - ou ne peuvent s’empêcher de - le faire plusieurs ex-chefs d’État. En fait, Boris Eltsine avait tout intérêt à tenir profil bas. Après les privatisations sauvages des compagnies d’État qui ont marqué son règne et enrichi son entourage (ceux qu’on appelle désormais les oligarques), mieux valait de se faire oublier. D’autant plus qu’il n’était pas en position de force face à Vladimir Poutine, dont le premier geste à titre de président fut de garantir l’immunité à son prédecesseur et ses proches, une décision sur laquelle il aurait pu revenir à tout instant…

Même si – ou puisque - Boris Eltsine était l’un des acteurs clés ayant mené à la chute de l’URSS, il était loin d’être populaire en Russie. Et encore plus déshonorant, il était loin d’être respecté. Pourquoi?

Staline était et est toujours respecté par bon nombre de Russes. On peut le détester, lui reprocher la mort de dizaines de millions de Russes et Soviétiques, son régime de terreur, son incompétence en économie, mais Staline était un leader fier. Et il faisait rayonner cette fierté, peu importe la situation catastrophique qui régnait en réalité en Union soviétique, particulièrement au lendemain de la «Grande guerre patriotique» (Deuxième guerre mondiale).

Eltsine, lui, était ridiculisé. Pas en raison de ses mauvaises décisions. Dans le chaos de la Russie post-soviétique, de toute façon, il n’existait pas de bonnes solutions aux problèmes, seulement des solutions moins pires que d’autres. Il était ridiculisé parce qu’il ne dirigeait pas fièrement et fermement son pays. Il était ridiculisé parce qu’il n’était pas aveuglé par le patriotisme face aux problèmes du pays et ne réussissait donc pas à donner à espérer à ses citoyens.

Il avait pourtant commencé en lion. En août 1991, quelques mois avant la mort de l’Union soviétique, alors qu’il est président de la République socialiste de la Fédération de Russie, c’est lui qui fait échouer le coup d’État contre le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev. C’est d’ailleurs cette démonstration de leadership qui lui permettra de se présenter en homme fort devant l’adversité et d’être ensuite élu président de la Russie nouvellement indépendante.

Son déclin commence en 1994, lorsqu’il ordonne l’invasion de la Tchétchénie par l’armée pour mater les vélléités d’indépendance de la république caucasienne. Ce n’est pas sa décision de partir en guerre qui cause son impopularité, mais plutôt le fait qu’il ne l’a pas gagné, ou n’a pas réussi à faire croire qu’il l’avait gagné…

S’il est réélu en 1996, c’est strictement grâce à l’appui de ses amis oligarques, qui lui doivent leur nouvelle fortune. Alors que Boris Eltsine est au plus bas dans les sondages à quelques mois de la présidentielle, ils mettent à son service leurs médias en lançant une campagne de dénigrement du candidat communiste Guennady Ziouganov. Les nouveaux rois du capitalisme russe préfèrent évidemment un président faible et manipulable à un retour à l’ère soviétique.

Si Boris Eltsine est devenu président de la Russie, c’est bien parce qu’il avait démontré sa fermeté et sa force en tant que leader pendant que l’URSS agonisait. On peut probablement attribuer à ses troubles de santé et son alcoolisme son incapacité à maintenir son leadership durant la majeure partie de sa présidence. Ce n’est pas le fait qu’il ait laissé son entourage piller les richesses du pays qui font que Boris Eltsine n’était pas respecté en Russie. C’est que dans ce dur pays, l’homme mou est moins respecté que le dictateur.

samedi 21 avril 2007

Chronique d’errance #2: Quitter le malheur

Enregistrée et écrite sur les terres argileuses, instables, mais vraies de Sologne (France), le 1er avril 2007...

Version audio

C’est tellement plus facile de quitter le bonheur que le malheur. Le bonheur, on peut le laisser là, avec son sourire, sa soif de vivre à revendre. Et partir, l’âme en paix.

S’il est assez grand, s’il est assez fort et surtout, s’il a assez confiance, il va continuer sa route. Il va foncer à vive allure, avec une petite parcelle de nous ancrée solidement en soi et qui va l’aider à ne pas avoir peur. Il va vivre, et nous aussi. Parce qu’on ne se fera pas de mauvais sang pour lui.

Mais partir, un désordre de coeur en tête, un inaccomplissement sur la conscience; partir avec l’idée qu’on n’a pas tout fait pour sauver les meubles de la maison qui nous brûle sous les yeux, nous brûle les yeux; partir sur une césure dans le parcours des mots qui nous reflètent l’état d’âme, même si continuer, même si rajouter des lettres quand il y en a déjà trop ne servirait à rien; partir devient un abandon de navire. Par le matelot ou le capitaine, peu importe. Un abandon de navire par quelqu’un qui se dit qu’il aurait pu encore faire quelque chose parce qu’il y avait sûrement quelque chose à faire d’impossible pour éviter l’abîme.

Alors on retarde. On retarde le départ, par devoir, par orgueil peut-être, par honneur c’est possible, par amour, j’espère par amour, parce qu’on se dit que c’est la seule chose qui peut nous pousser à se faire aussi mal en espérant en ressortir ne serait-ce qu’une once de bonheur, même si ça ne se pèse pas le bonheur, même si dans le fond, on en voudrait toujours plus.

Et vient le jour où l’on doit partir, parce qu’il le faut; parce qu’il a fallu qu’il y ait une limite à tout ça; parce que la non-vie ne pouvait plus continuer jusqu’à notre mort. La limite, c’est un précipice. Un précipice qu’on déboule mètre par mètre, pierre par pierre, jusqu’à atteindre le fond, la terre ferme.

Puis ensuite, on doit remonter. Parce qu’il le faut, c’est tout.

On hésite. On remonte à petits pas en se réapprivoisant les sens qui ont repris leurs esprits, un peu, de plus en plus, plus ou moins.

On remonte, tranquillement, parfois en se disant qu’on devrait peut-être revenir sur nos pas et on prie pour ne pas s’écouter l’inconscience qui cogne pour nous sortir de notre courage d’aller à contre-courant pour notre bien.

Et après…après…après tout, après rien, après le déluge, moi.

jeudi 19 avril 2007

Chronique d’errance #1: Le choc culturel

Écrite et enregistrée à Lille (France), fin mars 2007, sur un coin de parc au centre-ville…

(Version audio)


On se sent tellement loin de ce qui est trop proche pour être différent. Mes plus gros chocs culturels, je ne les ai pas vécu là où on parle des mots que je ne comprends pas, ni là où les peaux, les yeux, sont différents. Non, parce qu’on s’y attend d’être différent à ces endroits-là. Et on ne recherche pas notre place. On sait déjà qu’on en n’a pas vraiment. Où plutôt, que notre place, c’est celle de l’étranger, une place à part, particulière, où notre plus grand apport à la société c’est justement d’être ce que les autres ne sont pas.

Là où on est clairement défini comme «l’étranger», on n’a pas à faire comme les autres, à rentrer dans l’un des moules disponibles et qui ne cadrera jamais parfaitement avec nous.

C’est pourquoi, on peut plus que n’importe où, peut-être même plus que chez soi encore, rester soi à l’intérieur. Si on est assez fort pour vivre envers et contre tout ce qui nous entoure, évidemment.

Mais là où on est presque chez soi, là où on n’est pas assez différent sur la forme pour qu’on nous laisse naturellement l’être sur le fond des choses, ce n’est pas aussi évident.

Et c’est là, dans ces endroits qui sont juste assez nous pour qu’on soit poussé à s’y intégrer, mais juste assez étranger pour que ca fasse mal de s’y adapter, qu’on ressent en pleine face le choc culturel. Parce que dans le fond, le choc culturel, s’il est là, même fort, même tranchant, s’il ne nous demande pas de se changer le fond de l’âme, il est plus beau que douloureux. Plus intriguant qu’exigeant.

C’est pour cela donc que la France a fait plus mal que la Bosnie (ou le Maroc…) au Québécois que je suis. Et c’est pour cela, encore plus, pour le provincial que je suis, que Montréal a pu être plus cruelle que Moscou.

mercredi 18 avril 2007

Russie: la révolution dépendante


Ce n’est pas aussi simple que le Bien contre le Mal. Les démocrates contre les autocrates. Mais on finit souvent, dans le monde de l’information et dans nos têtes, par réduire les conflits à cette plus simple expression manichéenne. Parce que c’est plus facile à expliquer, plus facile à comprendre pour tout le monde peut-être. Et parce que ça nous rassure de savoir qu’on est du «bon bord».

Les opposants au régime de Vladimir Poutine sont descendus dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg samedi et dimanche. Et ils se sont littéralement faits péter la gueule…

À Moscou, ils étaient 2 000 manifestants… contre 9 000 policiers venus des quatre coins de la Russie (afin d’éviter qu’un policier moscovite n’hésite à matraquer son voisin). Des centaines de militants anti-Poutine ont été tabassés puis arrêtés. Les journalistes qui couvraient l’événement ont aussi pu goûter à l’égalitarisme des officiers de police: on frappe tout le monde, on embarque tout le monde, peu importe ce qu’ils font sur place.

Le leader du Front civique uni, Garry Kasparov, était l’un des organisateurs principaux de ces «marches du désaccord». Ex-champion mondial d’échecs, il est la personne toute désignée pour attirer l’attention du monde entier sur le durcissement du régime poutinien. Car oui, le régime se durcit. En plus, Garry Kasparov qui a pris sa retraite des échecs précisément pour se lancer en politique, semble des plus honnêtes dans sa démarche.

Il réussit même ce que personne n’avait réussi avant lui durant les années Poutine: réunir un maximum d’opposants aux idées souvent très divergentes dans une coalition, «l’Autre Russie», dont l’objectif est de chasser du pouvoir le président et sa bande et de (r)établir la démocratie en Russie. De droite à gauche, jusqu’aux extrêmes, ils commencent à comprendre qu’ils n’arriveront à rien chacun de leur côté et sont prêts à mettre de l’eau dans leur vin.
***

Il y aura peut-être révolution «colorée» en Russie. En décembre, au moment des élections législatives dont les résultats ne manqueront pas d’être contestés, ou lors de la présidentielle de mars 2008, qui verra l’avènement du successeur de Vladimir Poutine.

Il y aura peut-être révolution colorée, comme en Géorgie («roses») en 2003, ou en Ukraine («orange») en 2004. Et elle fonctionnera peut-être, contrairement aux tentatives ratées des opposants en Azerbaïdjan en 2005 et en Biélorussie en 2006.

Mais si jamais elle fonctionne, ce ne sera pas en premier lieu grâce à ces démocrates comme Garry Kasparov qui descendent dans les rues par soif de liberté (si tel est bien le cas, évidemment). Non, malheureusement, non.

Si la révolution ukrainienne a pu aboutir, c’est que les démocrates sincères ont eu à s’appuyer sur des oligarques beaucoup moins à cheval sur les principes démocratiques pour mener à bien leur révolution. Et si aujourd’hui les Ukrainiens retournent dans les rues contre leur président, c’est en partie parce que la clique corrompue chassée du pouvoir par les «oranges» a finalement été remplacée par des démocrates qui avaient une dette envers certains gros bonnets demandaient maintenant le retour de l’ascenceur…

En Biélorussie et en Azerbaïdjan, les maigres subventions des ONG comme Freedom House ou la Soros Fondation ont permis aux démocrates de préparer leur révolution selon les techniques «colorées», devenues pratiquement une marque de commerce en Europe de l’Est: groupes organisés de jeunes, manifestations spontanées pour énerver le pouvoir, utilisation des moyens de communication pour la propagande dans le pays et à l’extérieur, désobéissance civile, etc.

Mais l’aide ne pouvait aller plus loin. Et les riches et les puissants de leur pays ont eu trop peur ou ne jugeaient pas profitable de les aider à renverser le régime en place.

En Russie, il y a beaucoup d’intérêts, souvent opposés, et beaucoup d’oligarques. La semaine dernière, le milliardaire russe Boris Berezovsky, en exil au Royaume-Uni, affirmait à The Guardian qu’il préparait une révolution «violente» pour renverser le régime poutinien. Violente?

En tous les cas, si l’oligarque Berezovsky participe à une quelconque révolution, colorée ou ensanglantée, on peut être assurer que l’instauration d’une démocratie et d’une justice dans le pays ne seront pas ses principales priorités. Celui qui a fait fortune grâce aux privatisations sauvages de la période Eltsine (il a longtemps été son bras droit) a beaucoup trop d’intérêts, de temps à rattraper et d’argent à gagner en Russie pour se soucier de démocratie.

Mais les démocrates sincères comme Kasparov, sans un appui spontané du peuple (la majorité silencieuse russe est comme partout résignée devant le pouvoir, alors il ne faut pas trop s’y attendre…) pourront-ils faire sans les oligarques de la trempe de Berezovsky?

Comme quoi la démocratie n’est pas toujours affaire de bons principes et les révolutions ne sont pas toujours d’indépendance…
-30-

lundi 16 avril 2007

Qui paie la note?

CASABLANCA (Maroc) - Les deux policiers et le jeune homme montent les escaliers. Ils approchent de la table juste en face de la mienne. Un des policiers prend les mains du jeune homme. Il lui enlève ses menottes. Les trois hommes libres s’assoient à la table. Ils se sourient. Ils se parlent, mais toujours avec un sourire. Le jeune homme est assis près de la fenêtre -ouverte- du deuxième étage.

Le serveur apporte le pain, le poulet, les sauces, les fourchettes. Et un litre de boisson gazeuse. Ils mangent. Ils mangent, se parlent et se sourient.

Le jeune homme au capuchon n’est probablement qu’un petit délinquant. Un vendeur de drogue tout au plus. Il n’a définitivement pas les yeux d’un tueur (ou d’un kamikaze). Et il sourit aux policiers. Un sourire pas du tout arrogant. Un sourire qu’on fait à de nouvelles connaissances, de possibles futurs amis.

Je suis parti de la petite rôtisserie avant les «poulets» et le jeune homme. Je ne doute pas qu’en quittant, les policiers ont dû lui remettre ses menottes et le conduire au poste. Vraiment, j’en suis pratiquement certain. Aussi certain qu’on peut l’être dans un pays où la police est plus réputée pour la corruption qui la gangrène que pour son dévouement envers la sécurité publique.

Mais je m’en fous un peu cette fois-çi. Il n’était probablement même pas dangeureux le jeune homme au capuchon. Ce qui m’intrigue vraiment, c’est de savoir qui… qui donc a payé la note?

dimanche 15 avril 2007

Chroniques d’errance (introduction aux)


Je me lance. Avant que ceci passe. Ceci, ce n’est pas un lieu, ni un moment. C’est un état. Un état d’âme: l’errance.

Pour un bien ou pour un mal, elle nous court dans la tête, cherchant des solutions ou des problèmes, cherchant des sens.

Dans son essence même, l’errance mène partout et nulle part; elle mène à soi, mais à un soi sans fin, inassouvissable, intarissable, indésespérable. Et le but est précisément la recherche infinie, infinissable, l’accomplissement dans l’inaccomplissable.

L’errance. Avant que ceci passe, parce que ça passera peut-être. Peut-être que le nomadisme se guérit – si maladie il y a – ou du moins se tarit, à force de semelles trouées, de coeurs usés, d’espoirs génocidés par les routes infinies vers un chez soi qui n’existe toujours que partiellement.

L’errance, ce n’est pas le malheur. À moins de le vouloir ainsi. Pour moi, l’errance a plutôt été – et reste – une suite de bonheurs trop forts pour se maintenir en équilibre. Une suite de sauts périlleux entre lieux, temps et êtres, entre lesquels on se pète parfois la figure. Oser sauter, sans savoir ce qu’il y aura sur l’autre rive, voilà l’essence, la motivation de la vie d’errance.

«Ceci» passera. Je le souhaite, je crois. Mais je ne regretterai pas ces mots chargés de sens à découvrir qui m’auront gravité dans tout le corps à la recherche d’un orbite, d’un ordre des choses. L’errance est belle. L’errance est bel et bien formatrice. Et c’est pourquoi sa fin fait peur, même si on la désire souvent ardemment. Sa fin fait peur car on l’imagine fin du monde en mouvement, début d’un cercle fermé, d’un cercle vicieux qui ne s’interrompra qu’à la mort. Alors on erre, jusqu’à trouver mieux. Mieux, ce serait une niche qui nous donnerait le confort sans l’indifférence; mais en attendant cette utopie, ou que ceci passe, on ne peut qu’errer…
***

Errance. Le mot, je l’ai en quelque sorte emprunté à Raymond Depardon (merci Adeline), qui a photographié et décrit l’errance (Errance, Seuil, 2004), la sienne, sans trop savoir où ça le mènerait.
J’ai emprunté le mot, parce que le photographe m’a transmis le mot le plus juste face à ce que je ressentais. Mais ça reste un mot. Et à chacun de se le définir. À travers mes chroniques d’errance, je vous offrirai mes parcelles de définition de cet état d’esprit, au fil de son existence en moi.

Deux morts et un spectacle


CASABLANCA (Maroc) - Il y a des éclats d’humain sur le muret. Il y a deux heures, un homme s’est fait exploser juste là. Vous voyez? Juste là, au coin de la rue. Omar – parce qu’il avait un nom – a déclenché sa ceinture d’explosifs quelques minutes après son frère Mohamed, lui aussi sur le boulevard Moulay Youssef, en plein coeur de Casablanca. Mohamed devant le Consulat général des États-Unis, Omar devant le Centre américain des langues.

Mardi dernier, trois de leurs copains – ou du moins frères d’armes – traqués par la police dans un quartier populaire de la métropole marocaine, s’étaient aussi fait exploser. Un autre avait été abattu par balle. Trois, quatre, six, et un autre le 11 mars dans un cybercafé. Sept. Et il y a le policier qui est mort dans l’explosion de l’un des kamikazes mardi. Huit morts en un mois. Un carnage à Montréal ou à Paris. Une goutte d’eau à Baghdad.

Le bilan, de toute façon, on s’en fout. Les morts ne veulent rien dire si on ne fait que les compter. La veille, j’avais justement passé la soirée à débattre avec des journalistes marocains sur les motivations des kamikazes. Pourquoi des jeunes qui disent être de fervents musulmans se font-ils exploser alors qu’ils savent bien (ou non?) que leur acte sera dénoncé par l’écrasante majorité de leurs concitoyens et correligionaires? N’importe quel chauffeur de taxi de Casablanca vous dira que ce ne sont pas de bons, pas de vrais musulmans, ces «terroristes», que Dieu ne cautionne pas ce genre d’action. Le même chauffeur qui pourtant, lui aussi déteste les États-Unis, fait ses cinq prières par jour et ne rêve que d’aller faire son hadj, son pélerinage à La Mecque. Alors ce n’est pas l’Islam?

Tous les kamikazes étaient originaires du même quartier populaire – très populaire – en périphérie de Casablanca. À Sidi Moumen, il y a la pauvreté, il y a le chômage, il y a l’analphabétisme marocain à la puissance dix. Le terrorisme, c’est une affaire de pauvres alors? Mais il y a le milliardaire Oussama Ben Laden… et il y a à Casablanca même, «ces jeunes qui se promènent en 4x4 avec des filles qui portent le foulard jusque-là», jusqu’au ras des yeux, rappelle l’un de mes collègues marocains. De fervents musulmans eux aussi. Tout autant probablement qu’Omar et Mohamed disaient l’être. Mais iraient-ils jusqu’à s’enlever la vie, et peut-être celles d’innocents, soi-disant au nom d’Allah? Encore une fois, difficile d’être catégorique. Car à Londres, à Madrid, à New York, il y avait des ingénieurs, des informaticiens parmi les kamikazes…

***

Toute la matinée, les curieux se sont massés autour du périmètre de sécurité près d’où Mohamed et Omar se sont faits exploser. La police était désorganisée. Les différents corps de police n’arrivaient pas à se coordonner: les piétons ne pouvaient pas circuler… mais les voitures continuaient leur route, presque comme si de rien n’était. Pendant ce temps, dans l’édifice en construction, les policiers recherchaient d’autres suspects, possiblement eux aussi bourrés d’explosifs et prêts à passer à l’acte.

Alerte à quelque part dans le périmètre. Une partie de la foule se sauve. L’autre se rapproche. Les réactions face au danger divergent. La curiosité peut souvent l’emporter sur le réflexe de protection (et c’est le journaliste qui parle…). Non, la panique, la détresse, ce n’est pas ce qu’on pouvait lire sur le visage de la majorité des Casablancais curieux. Beaucoup riaient, s’amusaient. Excitant la course aux terroristes, non? Quand la police arrêtait ou semblait arrêter un suspect – qui, je le répète, était peut-être bourré d’explosifs – on se ruait autour. On applaudissait.

Deux morts. Omar et Mohamed Maha. Mais pour plusieurs, un divertissement qui réchauffait bien pour le match de soccer Casa-Rabat de l’après-midi…
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